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Dan Perez : « Les stats vont te permettre d’aller t’intéresser à un joueur ou une équipe que tu n’aurais pas pu voir par toi-même ».

C’est avec le « Monsieur Tactique » du journal L’Equipe, Dan Perez, que nous poursuivons notre série d’interviews d’acteurs du foot sur l’utilisation des stats dans le foot. S’il insiste sur les précautions à prendre dans leur utilisation, il confirme beaucoup les utiliser, notamment celles du PSG…

Paris Stats Germain (PSG) : Quel intérêt tu vois à l’utilisation des stats dans le foot ?

Dan Perez (DP) : L’intérêt est multiple. Déjà cela peut permettre d’attirer le regard et de faire un premier écrémage au sein d’une longue liste de joueurs par exemple. Ça c’est l’intérêt pour le scouting. C’est-à-dire, à l’aide de tout un tas d’indicateurs statistiques avancées, essayer de dégager potentiellement des joueurs qui sortent du lot sur un profil donné. Après ce premier écrémage, l’idée est bien sûr de superviser ces joueurs.

Mon travail, c’est un peu ça : comme on ne peut pas voir tous les matches, mais qu’il faut néanmoins avoir vu les matches d’un joueur ou d’une équipe pour écrire dessus, les stats peuvent te permettre de te rendre compte qu’une équipe ou qu’un joueur inattendu performe dans tel ou tel domaine. Et du coup, cela t’incite à aller t’y intéresser.

Les stats sont donc un outil supplémentaire qui vont te permettre d’aller t’intéresser à un joueur ou une équipe que tu n’aurais pas pu voir par toi-même.

C’est l’équivalent du collègue supporter de West Ham qui te dit à la cafet’ : « tu devrais aller regarder jouer West Ham, je les regarde régulièrement et ça joue très bien cette saison ». C’est très utile.

Les stats peuvent aussi servir à remettre en doute ou questionner une première impression. Par exemple, si j’ai l’impression qu’une équipe se crée beaucoup d’occasions en l’ayant vu jouer, je peux aller confronter ça à des stats pour confirmer mon propos.

C’est aussi valable pour confirmer une impression relative au style de jeu d’une équipe. Cela m’est arrivé avant Real-PSG : j’ai regardé les 20 derniers matches du Real et j’ai eu le sentiment assez net que le Real utilisait beaucoup les reversements, à l’inverse du PSG. J’ai donc jeté un oeil aux stats pour voir si c’était la réalité et les stats me l’ont confirmé.

PSG : Quelles sont les limites que tu vois à l’utilisation des stats ?

DP : Il y aurait pleins de choses à dire là-dessus. Il y a quelque chose de fondamental : dès que l’on est face à un indicateur statistique, il faut absolument chercher son biais, c’est-à-dire ce que cet indicateur ne dit pas.

Par exemple, une stat de duels gagnés est une donnée qu’il faut manier avec énormément de précautions, voire ne pas l’utiliser du tout, parce que la définition de ce qu’on appelle un duel n’est pas clair. Il y a un écart entre l’utilisation de l’indicateur que l’on voudrait mathématique et la définition qui ne l’est pas. Les définitions entre organismes qui collectent les données peuvent diverger et l’être humain qui saisit les données peut également avoir une sensibilité différente.

Il faut aussi savoir ce que la stat ne dit pas. Quand on utilise les expected goals par exemple, il est fondamental d’être bien conscient de ce que la stat ne dit pas. Elle ne prend pas en compte la qualité du joueur qui tire, ni les situations de jeu qui ne se terminent pas par un tir.

Les organismes de stats en ont conscience et essayent d’affiner les indicateurs au fur et à mesure du temps.

Je pense que dans mon métier c’est très important d’expliquer le biais aux gens parce que sinon il y a un risque d’utilisation aveugle et donc contre-productive auprès de la personne qui va nous lire ou nous regarder.

Si je ne suis pas conscient du biais que comporte l’indicateur que j’utilise, je vais prendre le risque d’avoir des conclusions définitives sur la qualité des joueurs évalués. C’est ça limite principale de l’utilisation des stats.

Il est par ailleurs primordial de ne jamais s’arrêter à la stat. Elle ne peut pas remplacer l’oeil. C’est juste un outil en plus. Même si la stat peut donner une première esquisse d’une identité de jeu d’une équipe, sans l’avoir vue. Mais ça ne remplace pas et ça ne doit pas remplacer la matière première qui reste le match en lui-même.

PSG : A ce sujet, il y a Matthieu Lille-Palette, l’un des boss d’Opta, qui utilise une expression qui me semble très juste. Il dit que la stat permet de « refroidir l’oeil du journaliste ». Tu en penses quoi ?

DP : Je suis complètement d’accord avec ça. Parfois, et encore plus dans les matches à fortes émotions, il peut y avoir un storytelling qui émerge en quelques heures ou jours et qui peut s’éloigner du contenu du match, notamment par le biais du score.

Parfois le score te fait changer ton regard sur le contenu du match, c’est humain. Et la stat, ou le revisionnage, fait partie des éléments sur lesquels s’appuyer pour refroidir son oeil et aider à une meilleure analyse.

PSG : On a un exemple récent de cela avec les critiques sur le jeu du PSG suite à la défaite à Nantes alors que l’attaque parisienne, les stats nous le disent, n’a jamais aussi bien fonctionné que ce soir-là. Le résultat oriente beaucoup les analyses.

DP : Je suis d’accord mais il faut aussi que l’on prenne soin, nous tous amateurs de foot, à ne pas se contenter d’analyser le jeu d’une équipe uniquement par l’intermédiaire des indicateurs statistiques, parce que c’est pratique et que cela évite de voir les matches.

PSG : Quelle est la stat qui t’énerve ou qui est mal comprise ?

DP : Il y en a beaucoup. Cela peut m’agacer quand on évalue des joueurs au nombre de minutes jouées différentes sans ramener les stats par 90 minutes. Les totaux sur une saison peuvent donner une idée de la régularité d’un joueur mais des stats non pondérées par le temps de jeu peuvent me crisper…

Les clean-sheets pour évaluer les gardiens, c’est assez déroutant on va dire. Il n’y a pas d’indicateur parfait mais celui-là, c’est vraiment un raccourci.

Une autre chose qui m’agace, c’est quand on utilise un échantillon très réduit pour en tirer une conclusion. En probabilité, plus ton échantillon est réduit, plus la valeur des tes indicateurs est réduite. Si on n’a que quelques matches à analyser, c’est très risqué car la valeur de la stat est très faible.

PSG : Y a-t-il des stats que tu regardes systématiquement à la fin d’un match ? Ou des stats que tu aimes regarder en particulier pour évaluer un joueur ?

DP : Je n’ai pas de routine statistique. J’aimerais bien avoir des stats de courses à haute intensité en systématique. Mais ce n’est forcément représentatif de la valeur d’une équipe. Il y a des équipes qui jouent très bien en courant peu et le PSG en est un bon exemple.

Après un match, je vais regarder les expected goals, les ballons touchés dans la surface, les hauteurs de récupération. J’aime bien voir la carte des tirs (d’où sont pris les tirs) pour voir à quel point ça a été dur de se créer des situations de tirs. Je pourrais en dire pleins d’autres, mais je n’ai pas de stat fétiche.

Il y a quand même néanmoins quelque chose que j’aime bien faire, c’est pondérer les stats par la possession de l’équipe. J’essaye de le faire sur des comparatifs. Lors de mon analyse sur le jeu de Messi, j’ai comparé ses indicateurs statistiques au fil des dernières saisons, je n’ai pas pris les données brutes mais je les ai pondérées par la possession.

Toucher 90 ballons dans une équipe à 50 % de possession, ce n’est pas exactement pareil que d’en toucher 90 dans une équipe à 75 % de possession. Pondérer les stats en fonction de la possession permet de faire émerger des joueurs qui peuvent être limités par le style de leur équipe.

PSG : De ce que tu vois, les stats sont-elles beaucoup regardées et utilisées par les clubs et les joueurs ?

DP : Les clubs utilisent beaucoup la vidéo, des joueurs ont même des debriefs videos individualisés, parfois même de la part de personnes extérieures au staff.

Les joueurs y voient forcément leur intérêt. Il y en a peu qui disent « je ne veux rien voir, rien entendre ».

PSG : Il y a de plus en plus d’analyses tactiques, dont les tiennes, dans les médias récemment, non ? Qu’en penses-tu ? Est-ce que cela va aider à développer la culture tactique et la culture foot de notre pays ?

DP : Je ne suis pas sûr que la France n’ait pas une grande culture foot. On a une meilleure culture foot que ce que l’on pense en tous les cas. Ça s’est développé ces 10-15 dernières années, notamment via l’intérêt pour les championnats étrangers. Les Italiens ou les Anglais ne s’intéressent qu’à leur propre championnat. La culture foot, ça n’est pas que ça, mais ça compte.

Concernant les analyses tactiques, je trouve ça très bien que l’on parle de jeu. Ça ne doit pas être l’unique manière de traiter le foot, évidemment. Les coaches sont d’ailleurs les premiers à le dire et c’est important de les écouter. La part de la tactique n’est pas majoritaire dans la gestion d’une équipe.

La tactique, c’est le plus visible et c’est sur quoi on peut le moins spéculer parce que c’est ce qu’on voit. Si les contenus autour de ça se développent, c’est qu’il y a un attrait et je m’en réjouis parce que ça me passionne.

Je suis content de lire des contenus tactiques et que mon média, depuis maintenant 7 ou 8 ans ait pris ce chemin-là, bien en amont d’autres médias. Ils m’ont fait confiance assez vite, quand j’étais jeune, pour traiter de ces questions-là. Le fait que ça fleurisse un peu partout, ça nous fait tous augmenter notre niveau de connaissances. Je me réjouis de ça.

Je suis d’accord qu’il y a plus de tactique aujourd’hui à la télé, mais il ne faut pas oublier que quand j’étais petit la doublette « Philippe Doucet-Michel Platini », ça parlait foot quand même. C’était même un sacré niveau ! On ne le retrouvait pas partout mais il y avait déjà quand même du monde qui parlait foot.

Il me semble aussi important de rappeler qu’à L’Equipe, Patrick Urbini ou Didier Braun, qui jouissent maintenant d’une retraite bien méritée, ont été des journalistes qui ont énormément traité des questions de jeu. Ils ont fait monter le niveau de connaissances. Ils étaient très pointus sur l’étude du jeu. On n’a donc rien inventé en faisant des papiers tactique même si cela s’est un peu démocratisé, avec des formats différents puisque sur le web on peut caser des captures d’écran qui peuvent permettre de visualiser un peu mieux ce dont on parle.

PSG : Peux-tu nous dire comment la décision a été prise à L’Equipe de produire plus contenus en lien avec la tactique ?

DP : J’étais jeune journaliste (2014-2015), j’étais même encore un peu à l’école. J’avais envie de faire ça, ces sujets me passionnaient et manquaient dans L’Equipe donc j’ai fait des propositions autour de ça. Et c’est parti comme ça. Ça a rencontré un certain écho auprès des lecteurs et ça s’est développé.

C’est assez classique que des jeunes journalistes qui débarquent arrivent avec de nouvelles idées. C’est le fonctionnement normal d’une rédaction. On recrute de jeunes journalistes pour qu’ils apportent un oeil nouveau, une manière de raconter nouvelle, etc…

A l’époque, on était quelques-uns à essayer de développer l’offre numérique en ligne. Maintenant on a beaucoup plus de 300 000 abonnés numériques mais au départ, il y avait des papiers très peu lus parce que c’était le début de l’offre numérique payante de L’Equipe. On était très peu visibles donc on avait une espèce de petite frustration. Et puis c’est monté. Maintenant, on a une meilleure visibilité parce que l’offre numérique de L’Equipe est installée, on est plus lus.

PSG : As-tu rencontré des résistances en interne, des gens réticents à ce qu’on parle tactique ?

DP : Non, on discute. Je n’ai rien à apprendre à personne en interne. C’est une rédaction de connaisseurs, de passionnés. On discute de foot, quoi. Personne n’est venu me voir pour me dire : « ça, ça nous saoule que tu en parles ».

PSG : Quelle stat non utilisée aujourd’hui te semblerait pertinente à créer ou rendre accessible au grand public ?

DP : Je pense à un indicateur qui serait peut-être délicat à construire : la distance du bloc. On en a les prémices puisque je sais que des instituts et des mathématiciens travaillent sur la modélisation des matches en diagramme de Voronoi.

Ça pourrait être intéressant de voir la distance entre les joueurs, le temps passé dans chaque zone, le temps dont dispose le porteur de balle, l’espace entre les adversaires et le porteur. Une compilation de toutes ces données pourrait être hyper intéressante et je pense que c’est en cours de réalisation.

PSG : J’aimerais avoir ton avis sur la stat des mètres gagnés par Messi contre le Real. Comme après chaque match, sur Twitter, j’avais extrait les stats marquantes individuelles et collectives et celles des mètres gagnés par Messi avait suscité pas mal de débats. Tu en penses quoi de cette stat ?

DP : Dans l’article dont je te parlais sur l’évolution de Messi au fil des années, on voyait justement que cette année il était plus bas sur le terrain et plus excentré. Et donc il gagne plus de mètres cette année. Après, il peut y avoir un débat tactique sur la position de Messi…

PSG : Est-ce que tu regardes les stats du PSG ? Si oui, y-a-t-il des choses qui t’ont globalement marqué, positivement ou négativement ?

DP : Ce qui me frappe le plus depuis le début de saison, c’est la sous-performance face au but des stars offensives du PSG. C’est frappant. Le nombre de buts marqués par Neymar, Di Maria, Mbappé, Messi et Icardi est, pour chacun d’entre eux, inférieur à leurs expected goals. C’est une espèce d’anomalie statistique, surtout dans une équipe construite autour de ces super individualités-là.

La manière dont l’équipe est construite a des conséquences sur le plan tactique puisque Pochettino ne peut pas jouer d’une certaine manière. Mais, jusqu’à présent, ces individualités n’ont pas validé la construction de l’équipe autour d’eux.

C’est très rare que des joueurs de ce calibre ne soient pas au moins dans la moyenne des expected goals attaquants. Il faut rappeler que les expected goals représentent une moyenne donc on peut s’attendre à ce que les stars du PSG soient au-dessus de cette moyenne. Or, elles sont en-dessous.

C’est pour moi le plus frappant cette saison. Cela peut aussi être prometteur pour la deuxième partie de saison. On peut en effet s’attendre à ce que ces stars là retrouvent un peu de leur standing.

Les autres interviews du site sur l’utilisation des stats dans le foot :

  1. Tripy Makonda : « Sans prise d’informations, tu ne joues pas au foot. Il faut trouver une stat qui mesure cela »
  2. Luis Fernandez : « J’ai tendance à me méfier des stats »
  3. Yacine Hamened : « Les stats doivent confirmer ou nuancer une performance mais elles ne doivent pas être l’argument massue. »
  4. François Pinet : « Les stats sont incontournables dans le debrief d’un match »
  5. David Aiello : : « En choisissant un chiffre, tu fais un choix éditorial »
  6. Loïc Moreau : « L’apport des stats est bien supérieur aux limites qu’elles peuvent avoir »
  7. Nicolas Mondon : « On est encore dans la préhistoire du foot et de la data »

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