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David Aiello : « En choisissant un chiffre, tu fais un choix éditorial »

Après François Pinet, c’est un autre journaliste, David Aiello, qui nous donne son point de vue sur l’utilisation des stats dans le foot. Celui qui collabore pour L’Equipe du soir, Prime Vidéo et RTL dit beaucoup les utiliser tout en ayant conscience de leurs limites. Et ce grand connaisseur du PSG a repéré grâce aux stats des axes d’amélioration dans le jeu parisien.

Paris Stats Germain (PSG) : Quel est ton avis général sur l’utilisation des stats dans le foot ?

David Aiello (DA) : Je trouve ça très utile mais je suis partagé. Pendant longtemps je n’ai pas aimé l’utilisation qu’on en a faite. Quand on se limitait à une lecture brute qui disait : « l’équipe a eu 18 tirs, cela veut dire qu’ils ont été dangereux ». Depuis, les expected goals ont permis d’affiner l’analyse en s’intéressant à la nature et à la qualité des tirs.

On peut faire le même type de raisonnement avec la possession : par exemple, à un moment donné le PSG de Laurent Blanc avait certes plus de 70 % de possession mais ça ronronnait et ils avaient des difficultés face à des blocs bas ou en Ligue des Champions. Donc il faut voir dans quelles zones on possède le ballon et ce qu’on en fait.

Donc j’ai des réserves sur l’utilisation qui peut être faite mais ça m’intéresse toujours.

Les stats me servent aussi de photographie globale. J’essaye de les contextualiser. Quand on fait cet effort, elles sont très aidantes.

Par contre, si on les prend de façon brute en disant « il s’est passé ceci parce que cela », je suis moins fan.

PSG : Quel sont les inconvénients que tu vois dans leur utilisation ?

DA : Les stats ne sont pas scientifiques. Elles ne sont pas fiables à 100 %. On le voit avec certains indicateurs qui ne sont pas mesurés de la même façon selon les organismes.

J’en parlais avec Philippe Doucet qui m’expliquait que la stat de possession peut être mesurée de plusieurs manières différentes avec des écarts entre les méthodes. Si tu vas sur le site de la LFP et celui de l’Equipe, les stats de possession ne sont pas les mêmes parce qu’ils n’ont pas le même prestataire. C’est bien la preuve que l’on n’est pas dans une approche scientifique. Par scientifique, je veux dire irréfutable. Du coup, on est obligés de prendre un peu de distance.

PSG : Est-ce qu’il y a une stat qui t’énerve plus particulièrement ?

DA : Pour moi, c’est celle des tirs. La stat globale des tirs n’est pas assez pointue. Les tirs cadrés sont déjà plus intéressants. Mais, pour le coup, les expected goals sont beaucoup plus parlants.

Le nombre de corners aussi, je ne trouve pas ça pertinent. Quand tu vois le nombre de buts issus de corners, cela n’a pas trop d’intérêt de les comptabiliser. D’ailleurs, les coaches évitent de plus en plus de les tirer directement et préfèrent conserver le ballon.

PSG : Quels sont les stats que tu trouves vraiment pertinentes pour analyser un match (au niveau collectif ou individuel) ?

DA : J’aime beaucoup les expected goals parce que cela permet de mettre en perspective. C’est la reine des stats.

On se rend d’ailleurs souvent compte qu’il y a une corrélation entre le score et les expected goals, ou à l’inverse que telle victoire s’apparente à un hold-up.

Je m’en suis d’ailleurs servi lors d’échanges avec des collègues après le PSG-City de la saison dernière où on me disait que le PSG s’était fait balader. Je répondais au contraire que la possession de City était stérile et ne s’était pas concrétisée par des occasions franches. Et les expected goals sont venus confirmer mon impression.

J’aime bien aussi regarder la stat de possession mais je ne me limite jamais à ça. J’aime bien la regarder pour me donner une indication sur le style de jeu. Il faut être capable de l’interpréter. Par exemple est-ce que Lyon récemment a laissé le ballon au PSG pour mieux contrer ou est-ce qu’ils n’ont pas eu le choix parce qu’ils n’étaient pas en capacité de tenir le ballon ? La stat de la possession est donc intéressante sur la nature du jeu que tu déploies.

PSG : Les stats peuvent-elles aider à analyser un match ? Si oui, comment ?

DA : En réalité, les chiffres on leur fait dire ce que l’on veut. En tous les cas, en choisissant un chiffre, tu fais un choix éditorial. C’est ce qu’on appelle les biais de confirmation : quand tu cherches un chiffre, tu vas chercher en priorité celui qui va confirmer ton analyse. Généralement, l’analyse est faite avant.

Après, l’inverse est aussi possible : tu peux faire découler toute une analyse à partir d’un chiffre.

Moi je ne suis pas un geek, dans le sens où je ne suis pas pour les analyses uniquement basées sur les stats. Je trouve ça trop réducteur parce qu’il se passe pleins de choses dans un match avec des paramètres physiques, psychologiques.

On ne peut pas réduire le foot à des chiffres. Il faut intégrer les dynamiques des équipes, la psychologie des joueurs, les liens des joueurs entre eux, les liens avec leur coach. Ce ne sont pas des choses que l’on peut traduire en chiffres et pourtant cela a un impact hyper important sur le résultat d’un match.

PSG : Te sers-tu des stats dans ton activité pro ?

Depuis que je fais du « bord terrain » pour les matchs sur Prime Video, je jette régulièrement des coups d’œil aux stats sur nos applis. C’est souvent pour me conforter quand j’ai l’impression qu’un joueur a beaucoup centré, je vais vérifier la stat.

On ne peut pas prendre de notes en live pour compter telle ou telle chose donc les stats nous sont très utiles. Avant de faire une intervention sur un joueur, je regarde ses stats pour voir si ma vision du terrain est bien confortée par les stats. Cela me permet d’illustrer mon propos avec un chiffre.

On dit « les hommes mentent, pas les chiffres ». Bon, ce n’est pas tout à fait vrai, mais en général les chiffres viennent confirmer ce que l’on a vu. C’est surtout une manière d’illustrer ce que l’on va dire.

En revanche, quand je travaille pour L’Equipe du soir et qu’il faut debriefer la performance de tel ou tel joueur, je m’installe à un pupitre et je prends des notes sur ses stats.

Je m’en sers très régulièrement depuis plusieurs années en post-match pour analyser des rencontres.

En travaillant dans les médias, on a notamment accès à des stats plus détaillées en provenance d’Opta et j’aime bien aller piocher sur cette plateforme des stats individuelles pertinentes que je mets en perspective. On peut comparer des joueurs entre eux.

On peut aussi demander spécifiquement à Opta des stats, sur un joueur particulier sur plusieurs années, par exemple le nombre de récupérations dans les 30 derniers mètres.

PSG : De ce que tu vois, les stats sont-elles beaucoup utilisées par les médias ? Les clubs ? Les joueurs ?

DA : Les médias les utilisent de plus en plus. Elles ont une bonne place.

Les clubs analysent leurs données de manière très poussée. Je pense que les joueurs aussi d’ailleurs. Ils sont de plus en plus dans la performance individualisée donc je ne serais pas surpris qu’ils travaillent en direct avec des prestataires pour qu’ils leur fournissent leurs propres datas.

De toutes façons, les clubs les donnent aussi aux joueurs. Je pense que les joueurs s’appuient sur ces chiffres pour faire un travail spécifique derrière pour améliorer un aspect particulier de leur jeu.

PSG : Quelle stat non utilisée aujourd’hui te semblerait pertinente à créer ou rendre accessible au grand public ?

DA : Il y aurait quelque chose à créer sur la densité des blocs. Le fait que les lignes soient bien resserrées est un élément tactique fondamental donc il faudrait un indicateur pour mesurer ça.

PSG : Est-ce que tu regardes les stats du PSG ? Si oui, y-a-t-il des choses qui t’ont globalement marqué, positivement ou négativement ?

DA : Je suis beaucoup le PSG depuis que je suis tout petit. Il y a deux stats qui me marquent : les fautes réalisées et les tirs de loin.

Je trouve que c’est une équipe pas assez agressive d’une manière générale. Tu fais certes moins de fautes quand tu as le ballon mais il est clair qu’un joueur comme Thiago Motta n’a pas été remplacé, dans le jeu bien sûr, mais aussi pour sa science de la faute. Paredes est un peu dans ce registre là, il a l’agressivité nécessaire à une équipe, mais il n’a pas la science de la faute de Motta. Il ne fait pas les bonnes fautes au bon moment. Il ne se maîtrise pas.

Je trouve donc que les stats de fautes du PSG disent un certain nombre de choses sur cette équipe que je trouve un peu trop lisse, lors de matches de Champions League notamment.

PSG : On a eu le débat récemment avec Marquinhos qui n’a fait que 3 fautes depuis le début de saison. On peut louer ça en disant qu’il est très propre, dans la lignée de son mentor Thiago Silva. Ou au contraire le stigmatiser en regrettant qu’il ne soit pas plus méchant ou qu’il ne coupe pas plus tôt certaines contre-attaques en faisant faute à 50 mètres de son but.

DA : Tout à fait. Marquinhos a grandi avec Thiago Silva. On ne va pas tirer sur Marquinhos qui est un joueur exceptionnel. Lui est comme ça, dont acte. Mais il est dommage que le recrutement de joueurs ces dernières années n’ait pas permis de faire venir des joueurs d’un autre style.

L’autre stat qui m’agace concernant le PSG est celle des tirs lointains. Je suis tombé récemment sur une étude qui disait que beaucoup de coaches demandent d’éviter de tirer de loin parce que ce sont des tirs à moins forte probabilité de faire but.

Je peux comprendre cela mais je trouve quand même que de pouvoir tirer de loin de temps en temps pour faire sortir la défense adverse et avoir une arme différente, serait un plus.

Le PSG n’a pas vraiment de joueurs capables de tirer de loin, depuis au moins 10 ans. Paredes a plutôt une bonne frappe mais il essaie rarement. Gueye un petit peu. Face à des blocs resserrés, personne ou presque ne prend l’initiative de tirer de loin pour amener un peu de variété.

Les autres interviews sur l’utilisation des stats dans le foot :

  1. Tripy Makonda : « Sans prise d’informations, tu ne joues pas au foot. Il faut trouver une stat qui mesure cela »
  2. Luis Fernandez : « J’ai tendance à me méfier des stats »
  3. Yacine Hamened : « Les stats doivent confirmer ou nuancer une performance mais elles ne doivent pas être l’argument massue. »
  4. François Pinet : « Les stats sont incontournables dans le debrief d’un match »
  5. Loïc Moreau : « L’apport des stats est bien supérieur aux limites qu’elles peuvent avoir »
  6. Nicolas Mondon : « On est encore dans la préhistoire du foot et de la data »
  7. Dan Perez : « Les stats vont te permettre d’aller t’intéresser à un joueur ou une équipe que tu n’aurais pas pu voir par toi-même »

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