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Tripy Makonda : « Sans prise d’informations, tu ne joues pas au foot. Il faut trouver une stat qui mesure cela. »

Nous débutons un nouveau rendez-vous sur notre site : des interviews d’acteurs du foot portant sur l’utilisation des statistiques. Souvent utilisées, parfois décriées, les stats ne laissent pas indifférents. Nous avons donc voulu prendre la température auprès de personnes gravitant dans le monde du foot, pour voir quel regard l’écosystème footballistique portait sur les datas. L’ancien « Titi » Tripy Makonda ouvre le bal, avec des réflexions fort pertinentes sur la notion de « prise d’informations » notamment.

ParisStatsGermain (PSG) : Quel est ton avis général sur l’utilisation des stats ?

Tripy Makonda (TM) : C’est une bonne avancée, c’est une bonne chose. Cela permet d’être clairvoyant sur ce qui se passe dans un match. Cela permet aussi d’être davantage dans l’analyse individuelle des joueurs.

PSG : Quel est l’intérêt majeur des stats selon toi ?

TM : Cela permet de mieux décortiquer le match d’un point de vue collectif. Tu peux par exemple analyser la qualité de ton pressing selon les zones du terrain, la qualité de tes sorties de balle.

Et individuellement, tu peux analyser la performance du joueur grâce aux stats. Les données de centres réussies par exemple te permettent d’apprécier la qualité d’un latéral.

La stat doit surtout être le point de départ de questionnements. S’il y a eu beaucoup de centres ratés, il faut essayer de comprendre pourquoi. Est-ce que le centreur est le seul fautif ? Ou est-ce un problème technique ? En fonction de l’analyse, cela permet ensuite de travailler sur les points qui ont été identifiés grâce aux chiffres au départ.

PSG : Quelles inconvénients vois-tu dans l’utilisation actuelle des stats ?

TM : Il faut que les stats soient un support. Elles ne doivent pas remplacer l’œil humain. Il faut que ce soit une aide pour les staffs, les supporters qui regardent pour arriver à comprendre la globalité d’un match de foot.

La stat seule est insuffisante. Il faut creuser plus loin.

PSG : Y-a-t-il des stats qui t’énervent ?

TM : Le taux de passes réussies. Quand on me dit qu’un joueur a réussi 95 % de ses passes, j’ai besoin de savoir quels types de passes ont été réalisés.

Il y aussi une stat qui est mal utilisée en ce moment, c’est celle des kilomètres parcourus par les joueurs. Le plus important c’est surtout de savoir à quelle intensité il a couru et pour quel résultat. Un joueur peut avoir parcouru 11 kms, mais a-t-il couru dans le vent ? Ses courses lui ont-elles permis de presser efficacement et de récupérer des ballons ?

PSG : Y-a-t-il des stats qui t’intéressent plus que les d’autres dans la lecture d’une rencontre ?

TM : Je regarde tout. Après, personnellement, je m’intéresse beaucoup aux sciences cognitives et aux neurosciences. Donc je regarde plus particulièrement la prise d’informations, les explorations visuelles. Quand je regarde un match, je me focalise sur ces aspects-là. Par exemple, quand un joueur réalise une passe verticale qui casse des lignes, c’est intéressant de regarder en amont ce qu’il a fait pour pouvoir faire cette passe.

Je regarde aussi les stats de courses à haute intensité. Le foot est un sport « semi-intermittent » : il y a des moments où tu marches et d’autres où tu fais des courses à haute intensité. Et je trouve que ça doit être mis en valeur. Plus que la distance parcourue, ce sont les sprints à haute intensité qui sont révélateurs. C’est avec ces courses qu’un joueur fait des différences. Tu as déjà vu quelqu’un faire des différences en marchant ?

On critique souvent Messi parce qu’il marche ou court peu. Mais ce qui est intéressant ce n’est pas de savoir que Messi a couru seulement 6 kilomètres, c’est le nombre de courses à haute intensité. Peu importe qu’il n’ait fait que 6 kms, si parmi ces 6 kms, il y a 20 courses à haute intensité qui ont généré 3 buts !

Il faut mettre les stats en relation les unes avec les autres pour en faire un avis global sur la performance du joueur.

PSG : Les stats peuvent-elles aider à évaluer un joueur pour le recruter ?

TM : Cela permet de réduire la marge d’erreur. Dans le foot, comme dans la vie, rien ne peut remplacer les rapports humains. Les stats peuvent bien sûr aider en matière de recrutement pour apprécier les qualités footballistiques d’un joueur.

Mais cela ne peut pas remplacer la psychologie et l’humain. Les datas peuvent mettre en évidence les qualités du joueur mais ne diront pas si le joueur va être capable de s’adapter à son nouvel environnement. Malheureusement les clubs ne prennent pas le temps de réaliser ce type d’études et ils se focalisent donc sur les stats, les vidéos ou le copinage pour leur mercato.

Idéalement, il faut être capable de décortiquer le comportement du joueur qu’on veut recruter, y compris à l’entrainement. Avoir des infos sur sa manière d’être en-dehors des terrains.

PSG : Toi en tant que joueur tu avais accès aux stats ? A ton époque, étaient-elles utilisées pour l’analyse des matches ou le recrutement ?

TM : Si tu te souviens de l’époque des arrivées au PSG d’Everton et Souza, tu peux te dire que les clubs professionnels ont beaucoup évolué en terme de méthodes de recrutement !

En ce qui me concerne, les stats n’ont jamais aidé à réaliser un transfert. A mon époque, cela s’est fait grâce à des vidéos ou à ma réputation d’ancien international Espoirs et d’ancien joueur du PSG.

Sinon, à mon époque, il n’y avait pas beaucoup de stats mais on avait la possibilité d’avoir son clip video perso. Il y avait une plateforme, je ne me souviens plus du nom, « footprofil » ou quelque chose comme ça, à laquelle on pouvait s’abonner et qui permettait d’avoir des extraits de ses actions à la fin des matches. Il s’agissait nénamoins d’une démarche individuelle.

A Brest, de moi-même, je me suis rapproché de quelqu’un qui faisait des analyses vidéos. C’était tout nouveau à l’époque et ça m’avait fait beaucoup de bien.

PSG : Sais-tu si les stats sont beaucoup utilisées au quotidien dans les clubs ?

TM : C’est devenu un outil indispensable des clubs. Tout le monde s’y met parce que ça marche sur pas mal d’aspects.

Concernant les joueurs, je sais que certains travaillent beaucoup avec les analystes vidéos, qu’ils soient liés à leur club ou de l’extérieur.

PSG : De ce que tu vois, les stats sont-elles beaucoup regardées et utilisées par les médias ?

TM : Je collabore à France Bleue et oui, on les utilise. Et globalement, on voit que les médias se servent des stats. Cela apporte de la matière, que ce soit pour enrichir le commentaire avec des stats sur le profil d’un joueur ou pour mieux analyser le match en direct ou a posteriori. Cela permet d’avoir un œil plus aiguisé.

Si avant un match, un consultant a des stats d’un joueur portant sur un point précis, il va essayer de regarder plus attentivement le comportement du joueur en question pendant la rencontre pour essayer de comprendre la stat qui a été présentée avant le match.

Je trouve que de plus en plus dans les émissions de foot on essaye de comprendre le jeu. J’ai notamment en tête une émission sur Canal où Landreau décrypte les pénaltys de Neymar. C’est intéressant.

C’est sûrement plus facile en plateaux, après les matches ou à la mi-temps, de parler de stats. Il y a un vocabulaire que les téléspectateurs n’ont peut-être pas envie d’entendre pendant les matches. Il faut aussi un peu de temps pour bien expliquer une stat et la faire parler et c’est plus facile à froid que pendant le match.

PSG : Quelle stat non utilisée aujourd’hui te semblerait pertinente à créer ou rendre accessible au grand public ?

TM : Tout ce qui touche à la prise d’informations me semble capital. C’est ce qui fait la différence aujourd’hui au plus haut niveau. Cette capacité à faire des « scans », à élargir son champ visuel, pour avoir une bonne exécution ensuite. Sans prise d’informations, tu ne joues pas au foot. Il faut trouver une stat qui mesure cela.

Par exemple, Herrera est un très bon joueur en terme d’abattage sur le terrain mais il a un faible niveau de prise d’informations. Gueye est aussi très bon dans son domaine, mais il réalise très peu de « balayages ».

Or c’est très peu analysé aujourd’hui. Il y a quelques comptes Twitter qui en parlent pourtant très bien. J’ai pour ma part suivi une formation avec Nosotros qui fait intervenir des personnes extérieures au foot (scientifique, philosophe, etc…) et qui a notamment un module particulier sur la prise d’informations. Comment bien prendre l’information, la sélectionner et en faire une aide à la prise de décision.

Moi, en tant que joueur, je n’avais pas une excellente prise d’informations mais j’avais une bonne écoute. Quand un joueur m’appelait, même sans le voir, je savais où il était. C’est une autre façon de prendre l’information. J’avais peut-être la tête dans le guidon, mais grâce à la sensation et à l’écoute, je savais où se trouvaient mes partenaires.

PSG : La stat du « packing », c’est-à-dire le nombre de joueurs éliminés par une passe vers l’avant, permet de mettre en valeur les joueurs les mieux à-mêmes de prendre correctement l’information.

TM : Cette stat de packing permettrait de mieux valoriser des joueurs comme Verratti qui a cette capacité à casser des lignes comme on l’a encore vu contre Manchester City, Savanier par ses renversements de jeu notamment, ou parmi les plus anciens, Thiago Motta ou Pirlo.

Si les clubs ont accès à cette stat (NDLR : non accessible au grand public), j’imagine qu’ils s’en servent dans leur recrutement, en fonction de leur projet de jeu et du profil de joueur recherché.

PSG : Comment les joueurs travaillent-ils cette prise d’informations à l’entraînement ?

TM : Moi je la travaillais en roulant en voiture ! Quand tu conduis, tu dois scanner tout ce qui se passe autour de toi, anticiper sur tout ce qui peut arriver, regarder les panneaux de signalisation, etc…

Tu peux aussi le travailler à l’entraînement en demandant aux joueurs de bien regarder ce qui se passe autour d’eux avant la passe. Tu le travailles aussi indirectement avec les « appels-contre appels ».

C’est compliqué la prise d’informations parce que c’est séquencé. Quand ton coéquipier a le ballon, tu le regardes, mais dès qu’il pousse un peu le ballon, c’est là qu’il faut regarder autour de soi.

Il n’y a pas à proprement parler d’exercice spécifique mais il y a quand des écrits sur le sujet. Le spécialiste c’est Geir Jordet. Il a en quelque sorte inventé la psychologie du football. Il a beaucoup travaillé sur les scans, la prise d’infos.

Cela peut quand même se travailler à l’entraînement lors d’exercices techniques et à force de l’avoir répété à l’entraînement, le joueur le fait instinctivement en match. Le football repose beaucoup sur la répétition. Plus tu fais travailler un joueur sur l’exploration visuelle, plus il va s’améliorer, même si, arrivé à un certain âge, la vision cognitive commence à baisser. Il faut donc commencer à travailler ces aspects dès le plus jeune âge pour que la puisse d’informations devienne un réflexe naturel en pro.

Mais la prise d’informations reste une action difficile à réaliser parce que tu es attiré par le ballon quand tu joues. Il faut aller très vite. Il faut réaliser des micro-balayages en quelques dixièmes de secondes pour récolter les informations sur ce qui se passe autour de toi.

Moi je l’ai surtout travaillé en fin de carrière au Luxembourg, lors des échauffements notamment, et j’ai adoré. A force de le répéter à l’entraînement, on le retrouvait en match. Et quand j’ai commencé à l’utiliser, j’ai vraiment vu la différence. Quand tu prends bien l’info et que tu sais exécuter correctement derrière, ça te change la vie !

Le meilleur dans ce domaine-là c’est Kevin de Bruyne. Je suis émerveillé quand je regarde ses matches de voir sa capacité à prendre les informations.

Donc, pour répondre à ta question précédente, c’est dommage qu’aujourd’hui on n’ait pas la stat des « balayages » (ou scans) effectués par un joueur pour prendre l’information. Personne ne dit jamais à la fin d’un match : « De Bruyne a réalisé 150 balayages ».

Je l’avais un peu fait lors d’un reportage pour le magazine « This is Paris ». A l’occasion d’un petit format vidéo, j’avais mis en évidence que lors du premier but de Mbappé à Barcelone la saison dernière, Verratti avait réalisé un gros travail de scan au préalable avant de faire la passe décisive dans la surface pour Mbappé. Il avait pris plusieurs fois au préalable les informations nécessaires pour réaliser son petit extérieur.

PSG : Sur le jeu et les stats du PSG, y-a-t-il des éléments qui t’ont particulièrement marqué cette saison ?

TM : C’est la manière dont le PSG recherche l’équilibre entre les phases avec et sans ballon qui m’intéresse. Et ce n’est pas vrai qu’on ne peut pas atteindre cet équilibre en alignant 4 joueurs offensifs, comme à Rennes. C’est simplement une question d’attitude.

Liens utiles :

  • Liens vers les autres articles de cette série d’interviews sur l’utilisation des stats :
  1. Luis Fernandez : « J’ai tendance à me méfier des stats »
  2. Yacine Hamened : « Les stats doivent confirmer ou nuancer une performance mais elles ne doivent pas être l’argument massue. »
  3. François Pinet : « Les stats sont incontournables dans le debrief d’un match »
  4. David Aiello : « En choisissant un chiffre, tu fais un choix éditorial »
  5. Loïc Moreau : « L’apport des stats est bien supérieur aux limites qu’elles peuvent avoir »
  6. Nicolas Mondon : « On est encore dans la préhistoire du foot et de la data »
  7. Dan Perez : « Les stats vont te permettre d’aller t’intéresser à un joueur ou une équipe que tu n’aurais pas pu voir par toi-même »

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