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Luis Fernandez : « J’ai tendance à me méfier des stats »

Après Tripy Makonda, c’est au tour de la légende du club Luis Fernandez de nous donner son avis sur les statistiques dans le foot. Et même s’il est plutôt prudent quant à l’utilisation des stats, il apporte un éclairage très intéressant en tant qu’ancien joueur et entraîneur et figure des médias aujourd’hui.

Paris Stats Germain (PSG) : Quel est ton avis général sur l’utilisation des stats dans le foot ?

Luis Fernandez (LF) : Les staffs sont maintenant très étoffés et ils peuvent donc se pencher sur l’utilisation des stats. Moi, j’aime bien les regarder. Enfin, il y a des statistiques qui m’intéressent, et d’autres moins.

PSG : Quelles sont les statistiques que tu trouves pertinentes à analyser ?

LF : La statistique que je trouve fondamentale, c’est celle des kilomètres parcourus. Tu peux comparer les données des joueurs entre eux ou un même joueur d’un match à l’autre. En remettant dans le contexte du match bien évidemment. Il faut pondérer la distance parcourue en fonction de la possession par exemple. Si ton équipe a la possession, tu as moins besoin de faire des kilomètres.

Mais, en général, quand un joueur a des stats de kilomètres parcourus conséquentes, c’est important à savoir. Cela permet aussi d’être plus indulgent sur la performance d’un joueur : s’il a a beaucoup couru et fait énormément d’efforts, qu’il a montré de l’intensité, qu’il s’est montré très généreux, tu peux plus lui pardonner certaines erreurs.

L’autre stat qui m’intéresse, c’est les duels. C’est surtout vrai pour les défenseurs. Dans les échanges qu’un staff a avec ses défenseurs, c’est une donnée qui doit être utilisée. En plus, on peut distinguer les duels aériens ou au sol donc je trouve que c’est une stat pertinente.

PSG : Quel intérêt vois-tu à l’utilisation des stats ?

LF : J’aime bien regarder l’occupation du terrain grâce aux stats. Cela permet de situer la hauteur d’un bloc par exemple. Si l’équipe est haute sur le terrain, cela signifie qu’elle a l’ambition de jouer en récupérant haut et en contre-attaquant dans la foulée. Si le positionnement est plus bas, il y a plus d’efforts à faire pour attaquer en partant de plus loin.

J’aime bien aussi regarder la répartition des attaques. On constate qu’une équipe penche souvent d’un côté.

Cela permet aussi souvent d’analyser la manière dont une équipe ressort le ballon et construit de l’arrière. Avec combien de défenseurs, positionnés comment, etc…

PSG : Y-a-t-il des stats qui t’énervent ?

LF : Les stats de passes réussies. Quand un joueur a un bon taux de passes réussies mais qu’il a enchaîné les passes à trois mètres, celles que moi les yeux fermés je pourrais encore faire, ça ne m’intéresse pas !

J’ai besoin d’en savoir plus sur le type de passes effectuées. S’agit-il de passes vers l’avant qui cassent des lignes ou de passes latérales ?

PSG : Les stats peuvent-elles aider à analyser un match ?

LF : Quand je regarde un match, je m’intéresse surtout aux animations tactiques et je me focalise souvent sur le cœur de jeu qui est le secteur fondamental dans une équipe. C’est peut-être parce que j’ai joué au milieu de terrain, et que mes références que sont Cruyff et Guardiola ont beaucoup insisté sur cette zone là. Souvent, la complémentarité au milieu de terrain, c’est ce qui fait gagner une équipe. Les milieux de terrain avec leur créativité et leur qualité technique permettent aux attaquants d’être dans de bonnes dispositions pour marquer.

Mais pour répondre à ta question, j’ai tendance à me méfier des stats parce que, certes, parfois elles peuvent t’aider à comprendre le match, mais elles peuvent aussi te donner de mauvais indications.

Je m’explique : si je me focalise sur les stats et compare par exemple les données de pressing d’une équipe d’un match par rapport au match précédent, je peux interpréter les chiffres en disant que cette équipe a été moins efficace dans son pressing. Alors qu’il s’agit peut-être tout simplement de la consigne tactique du coach de moins presser. On fait parfois dire aux stats des choses erronées parce que l’on ne connaît pas la stratégie mise en place par l’entraîneur.

PSG : De ce que tu sais, les stats sont-elles beaucoup regardées et utilisées par les clubs et les joueurs ?

LF : Je sais que les staffs en tiennent compte et les regardent souvent. C’est nécessaire dans la préparation d’une semaine de travail de savoir où en sont les joueurs physiquement. Les calendriers sont tellement chargés que les staffs doivent tenir compte des données physiques des joueurs pour préparer leurs séances.

Les staffs se servent aussi des stats, avec la vidéo à l’appui, pour revenir sur des points qui n’ont pas bien fonctionné dans le match précédent. Les stats peuvent aider à définir les points et les exercices qui vont être travaillés à l’entraînement dans la semaine qui suit un match, pour rectifier ce qui n’a pas fonctionné. Les entraîneurs peuvent ajuster leurs séances en fonction de certaines stats du match précédent.

Selon moi, c’est surtout la vidéo qui a une très grande importance aujourd’hui. Elle te permet d’analyser aussi bien le côté offensif que défensif, avec ou sans le ballon.

Il ne faut pas forcément montrer à chaud à un joueur ce qu’il n’a pas bien fait mais le prendre en tête à tête dans la semaine, avant l’entraînement proprement dit. Des longues vidéos, ça n’intéresse pas mais une vidéo très courte qui revient sur des phases de jeu précises mal exécutées en match, c’est intéressant.

Quand j’entraînais le PSG, j’étais proche de quelqu’un du côté de Canal et j’avais les vidéos de matches rapidement. Et ça me servait beaucoup à l’appui de mon discours parce que l’on voit tout de suite ce qui ne va pas. Et les images, elles sont là, elles sont indiscutables donc on parle d’actions concrètes avec les joueurs concernés. Donc j’ai toujours apprécié cet outil de travail qu’est la vidéo. Tout en privilégiant le positif sur le négatif pour ne pas enfoncer un joueur.

A la base, pour moi, un joueur de football aujourd’hui, à partir du moment où il est dans un club de première division, il sait jouer au football. Après, on peut bien sûr chercher les raisons qui font que sur tel ou tel match, il y a des choses qui ont moins bien marché. Mais le plus important, c’est l’humain. Ça a toujours été ma priorité. C’est en nouant une relation de confiance qu’on tire le maximum de ses joueurs.

PSG : Quelle stat non utilisée aujourd’hui te semblerait pertinente à créer ou à rendre accessible au grand public ?

LF : Je n’ai pas de stats particulières qui me viennent à l’esprit. Mais il faudrait avoir plus de données à disposition sur la difficulté des passes. Ne pas se focaliser sur le taux de passes réussies mais regarder la difficulté des passes, leur direction, leur longueur, les renversements de jeu, etc…

PSG : En parlant de reversements de jeu, les stats du PSG mettent justement en évidence le faible recours au jeu long dans le jeu du PSG. Tu avais constaté cela aussi ?

LF : C’est dommage de ne pas utiliser davantage les renversements de jeu parce que cela permet de contourner les blocs et d’attaquer dans les zones libérées.

C’est d’autant plus dommage quand tu as dans ton effectif des joueurs comme Nuno Mendes ou Achraf Hakimi qui sont des mangeurs d’espaces. Ils ont des qualités de vitesse et cette faculté à se projeter vers l’avant.

Le PSG doit donc chercher ses leaders techniques, comme Verratti en sentinelle, ou Neymar et Messi, qui peuvent faire ses renversements vers les joueurs de côtés. Car pour faire ces renversements, il faut de la qualité technique. Je pense que Ramos pourra aussi réaliser ces transversales parce qu’il en faisait beaucoup au Real Madrid, que ce soit du pied droit ou du pied gauche.

Après cela dépend aussi du schéma tactique. Mendes et Hakimi ont la particularité d’avoir beaucoup évolué dans des défenses à trois centraux qui permettent de libérer ces joueurs de côtés.

Face à des équipes qui te pressent haut, les renversements de jeu à partir de l’arrière peuvent aussi être une arme redoutable. C’est un axe de travail pour le PSG.

Liens utiles :

Les autres interviews de cette série relative à l’utilisation des stats dans le foot :

  1. Tripy Makonda : « Sans prise d’informations, tu ne joues pas au foot. Il faut trouver une stat qui mesure cela »
  2. Yacine Hamened : « Les stats doivent confirmer ou nuancer une performance mais elles ne doivent pas être l’argument massue. »
  3. François Pinet : « Les stats sont incontournables dans le debrief d’un match »
  4. David Aiello : « En choisissant un chiffre, tu fais un choix éditorial »
  5. Loïc Moreau : « L’apport des stats est bien supérieur aux limites qu’elles peuvent avoir »
  6. Nicolas Mondon : « On est encore dans la préhistoire du foot et de la data »
  7. Dan Perez : « Les stats vont te permettre d’aller t’intéresser à un joueur ou une équipe que tu n’aurais pas pu voir par toi-même »

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